Pesanteur, légèreté

ses lunettes rondes s’étaient rayées

à force d’écouter 

un vieux disque en vinyle

dont la voix de son maître

répétait à tout va

de baisser le volume

afin de voir les sons 

s’échapper des sillons

et de prêter l’oreille au retour des images

 

vint le réveil dans le brouillard

des draps lactés 

on tira les voilages de lin

on ouvrit les volets

un premier rayon blanc vint éblouir la vue

au loin se discernait

un oiseau tournoyant et planneur

le rapace plongea

suivirent des gémissements

d’atroces petit cris  

les seuls à pouvoir fuir les entailles du bec

les bruits s’évanouirent

puis une détonation mit fin 

au festin du faucon

l’animal s’assoupit

le cœur lourd, la mort dans l’âme 

on ferma la fenêtre

 

une nature morte

accrochée sur le mur

clignait d’un œil espiègle 

 

sur la nappe d’ivoire

reposait un lapin

le regard vide

les deux pattes arrières

suspendues à deux crocs 

le ventre cisaillé

décanté de son sang

à côté

le cristal tout limpide

d’un demi-verre de rouge

reflétait une fenêtre

aux rideaux grand ouverts

sous les yeux pèlerins

d’un oiseau empaillé

une gibecière de cuir

à côté d’un bougeoir

complétait le tableau

 

à l’approche de midi

les rayons du soleil 

se faisaient plus stridents

on ferma les persiennes

quelques fuseaux de feux 

parvenaient à percer

le sombre de la pièce

des taches lumineuses 

venaient, légères, se projeter 

sur les murs terre d’ombre et le plancher de bois 

l’une d’elles dévoila une scène de chasse

au-dehors les cigales crépitaient 

à la lumière du projecteur 

la table resplendissait, le cristal scintillait

les autres figurants se mouvaient vers un temps

où jadis le gibier qu’il fut proie ou rapace

crapahutait dans l’herbe ou voltigeait dans l’air

jusqu’à ce que le chasseur signa le dénouement 

le vin, lui, devenait sang

 

passait l’après-midi 

de concert, les cibles des rayons 

se déplaçaient vers l’est

les cliquetis nuptiaux commençaient à faiblir

le cinéma muable redevint un tableau 

immobile et muet

 

à la tombée du soir

on tira les rideaux

un miroir accroché en face de la peinture

reflétait une bougie tout juste allumée

le foyer tamisé faisait trembler les murs

de ses ombres incertaines et frivoles 

de grandes oreilles assommaient un gerfaut

qui tenait dans ses serres un giboyeur crevant

le bal ardent des léporides continua  

jusqu’au bout de la flamme   

les murs perdirent leurs voix

la cire qui fondait mit fin aux pas de danse

 

au retour du sommeil

dans un noir d’aniline

on voyait les échos des images ricocher 

on écoutait le bruit de l’huile de la peinture

qui commençait à frire  

la nappe avait pris feu

la volaille dorait

un braconnier dormait à demi aviné

les rires rebondissants d’un lièvre moqueur

vinrent sonner l’alarme du réveil au matin